Réforme de la justice : quels tribunaux pour juger les litiges des consommateurs ?

Publié le par Jacqueline Jamet, docteur en droit

La justice a fait l'objet d'importantes réformes au 1er janvier 2020. Les modifications touchent notamment à l'organisation même des tribunaux. A quels tribunaux les consommateurs doivent-ils désormais s'adresser pour faire valoir leurs droits ? Décryptage.

 

Sommaire

Le nouveau tribunal judiciaire

Le nouveau tribunal de proximité

Les tribunaux répressifs

Le nouveau juge des contentieux de la protection

La future juridiction nationale pour les injonctions de payer

Le service d’accueil unique du justiciable

Les juridictions administratives

Le nouveau tribunal judiciaire

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a créé un nouveau tribunal : le tribunal judiciaire. Il résulte de la fusion au 1er janvier 2020 de deux tribunaux existant jusqu'alors : le tribunal de grande instance (TGI) et le tribunal d'instance (TI). En pratique, lorsqu'on avait un TGI et un TI dans une ville, on a désormais un tribunal judiciaire. Pour l'Hérault, c'est le cas à Montpellier et Béziers.

 

Dans la plupart des cas, les litiges concernant les consommateurs seront jugés par le tribunal judiciaire.

 

Le tribunal judiciaire est en principe le premier degré de juridiction pour les affaires civiles et pénales. Il rend un premier jugement qui pourra ou non faire l'objet d'un recours devant une cour d'appel (laquelle constitue le deuxième degré de juridiction). Quand l'appel n'est pas autorisé on parle de jugement "en dernier ressort". Cela concerne en particulier les litiges courants de consommation dans lesquels le montant de la demande est inférieur ou égal à 5 000 €.

Il existe une limite à la compétence générale du tribunal judiciaire. Il s'agit des cas dans lesquels un texte attribue compétence à une autre juridiction en fonction de la nature de la demande. On peut citer en exemple le tribunal de commerce. Ce dernier (composé de juges élus) connait ainsi des procédures de redressement ou liquidation judiciaire d'une entreprise commerciale ou artisanale (cela peut intéresser les consommateurs clients d'une entreprise en liquidation).  

 

Le tribunal judiciaire connaît des actions de groupe (article L211-9-2 du code de l'organisation judiciaire).

 

La réforme de la justice instaure des règles de spécialisation des tribunaux judiciaires. Lorsqu'il existe plusieurs tribunaux judiciaires dans un même département, certains pourront être spécialisés pour traiter des domaines particuliers (pour l'ensemble du département et éventuellement un autre). Pour les matières intéressant les consommateurs et usagers, retenons que cette compétence particulière peut porter sur les actions relatives au préjudice écologique, à la responsabilité médicale, aux opérations de construction immobilière ou à la contestation des décisions des assemblées générales des copropriétés (article R211-4 du code de l'organisation judiciaire).

 

Par ailleurs, des tribunaux judiciaires spécialement désignés connaissent des litiges relevant du contentieux de la sécurité sociale ou de l'admission à l'aide sociale (article L211-16 du code de l'organisation judiciaire).

Le nouveau tribunal de proximité

En dehors des villes où siège le tribunal judiciaire, il peut exister des chambres rattachées. Ce sont les chambres de proximité, dénommées “tribunaux de proximité”.

 

Malgré la ressemblance du nom, il n'est pas question de rétablir les juridictions de proximité, supprimées par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du 21ème siècle.

 

Concrètement, le nouveau tribunal de proximité est créé dans les villes où il n'existait avant la réforme qu'un tribunal d'instance (sans TGI). Dans l'Hérault c'est le cas à Sète.

 

Les compétences des tribunaux de proximité sont fixées par le décret n°2019-914 du 30 août 2019. Parmi les matières soumises à ces tribunaux, signalons les "actions personnelles ou mobilières jusqu'à la valeur de 10 000 euros". Par exemple est considérée comme "personnelle" l'action exercée par un consommateur contre un professionnel au titre des obligations résultant du contrat de vente ou de fourniture de service.

Les tribunaux répressifs

Le consommateur peut être victime d'une infraction pénale commise par un professionnel. Rappelons en effet que plusieurs dispositions du code de la consommation sont sanctionnées pénalement (par exemple articles L242-5 et suivants).

Le consommateur pourrait exercer une action civile devant le tribunal répressif pour demander réparation du préjudice subi.

 

Le tribunal judiciaire est compétent pour les affaires pénales en fonction de la gravité de l'infraction. On distingue le tribunal correctionnel, qui juge les délits (infractions passibles d'une peine d'emprisonnement et / ou amende) et le tribunal de police, pour les contraventions (passibles d'une amende pénale).

 

Les règles de spécialisation des tribunaux judiciaires évoquées plus haut s'appliquent aussi en matière pénale. Lorsqu'il existe plusieurs tribunaux judiciaires dans un même département, certains pourront être spécialisés pour traiter des domaines particuliers. Cela concerne notamment les délits et contraventions prévus et réprimés par les codes de la consommation, de l’urbanisme, de l’environnement (article R211-4 du code de l'organisation judiciaire).

Le nouveau juge des contentieux de la protection

Au sein du tribunal judiciaire, un ou plusieurs juges sont désignés pour exercer les fonctions de juge des contentieux de la protection (article L213-4-1 du code de l'organisation judiciaire). Cette fonction concerne au premier chef les consommateurs.

 

Le juge des contentieux de la protection est compétent en matière de crédit à la consommation (article L213-4-5 du code de l'organisation judiciaire). C'est lui que le débiteur doit saisir pour obtenir un délai de grâce (article L314-20 du code de la consommation modifié par l'ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019).

Le juge des contentieux de la protection connaît des mesures de traitement des situations de surendettement des particuliers et de la procédure de rétablissement personnel (article L213-4-7 du code de l'organisation judiciaire). Il connaît des actions relatives à l'inscription et à la radiation sur le fichier national recensant les informations sur les incidents de paiement caractérisés (article L213-4-8).

 

Concernant les locaux d'habitation, le juge des contentieux de la protection connaît des actions relatives au contrat de louage d'immeubles (article L213-4-4) et de celles tendant à l'expulsion des occupants sans droit ni titre (article L213-4-3).

Par ailleurs, le juge des contentieux de la protection exerce les fonctions de juge des tutelles des majeurs.

 

On peut se demander pourquoi la dénomination de "juge des contentieux de la protection" a été retenue. C'est la commission des lois de l'assemblée nationale qui a fait ce choix. Selon sa rapporteure, Laetitia Avia, "Cela permet de recentrer l'office du juge sur sa fonction première, qui est de trancher un litige. Quant au terme de "protection", il se justifie en ce qu'il s'agit d'axer son action sur les contentieux de vulnérabilité socio-économique du quotidien" (débats AN 5 décembre 2018). Il faudra donc s'habituer à cette nouvelle dénomination plutôt stigmatisante et assez peu compréhensible (d'une manière générale on peut considérer que l'une des fonctions principales du droit est d'assurer la protection des personnes).

La future juridiction nationale pour les injonctions de payer

Il existe une procédure particulière d'injonction de payer. Elle peut être utilisée par un créancier pour obtenir le paiement de la somme qui lui est due. Par exemple un commerçant ou un prestataire de services demande au consommateur de régler une facture impayée.

Dans le futur, et au plus tard le 1er janvier 2021, les demandes d'injonction de payer seront formées par voie dématérialisée devant un tribunal judiciaire spécialement désigné (articles L211-17 et 18 du code de l'organisation judiciaire).

Le service d’accueil unique du justiciable

Un service d’accueil unique du justiciable (SAUJ) avait été créé par la loi de modernisation de la justice du 21e siècle du 18 novembre 2016.

Le SAUJ est implanté au siège de chaque tribunal judiciaire et de chaque chambre de proximité (article R123-26 du code de l'organisation judiciaire).

Les agents du greffe affectés à ce service assurent notamment la réception et la transmission des actes en matière civile, lorsque la représentation par avocat n’est pas obligatoire. En matière pénale ils reçoivent entre autres les plaintes déposées auprès du procureur de la République (article R. 123-28).

Les juridictions administratives

La réforme de la justice ne remet pas en cause la séparation historique des pouvoirs administratifs et judiciaires (issue de la loi des 16-24 août 1790). L'administration conserve donc ses juges.

L'usager qui se plaint du mauvais fonctionnement d'un service public administratif (par exemple un établissement scolaire public) doit saisir les tribunaux administratifs. Mais les tribunaux judiciaires sont compétents pour les litiges entre un consommateur et le gestionnaire d'un service public industriel ou commercial (par exemple la collectivité ou l'entreprise délégataire assurant la distribution d'eau).

Une affaire récente concernant la distribution d'un médicament montre qu'il n'est pas facile de s'y retrouver. Des consommateurs avaient assigné la société Merck devant le juge judiciaire afin d’obtenir sa condamnation à reprendre la distribution du Levothyrox ancienne formule. Mais cette spécialité (Levothyrox AF) ne bénéficiait plus d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) avait au contraire autorisé la mise sur le marché de la nouvelle formule du Levothyrox (Levothyrox NF). Le Tribunal des conflits considère que la demande des patients met en cause la décision prise par l’ANSM dans l’exercice des pouvoirs de police. Par conséquent l'action devant le juge judiciaire est rejetée car seul le juge administratif pouvait se prononcer (Cass. Civ. 1ère 8 janvier 2020).

 

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Nous avons résumé les principaux changements affectant la compétence des tribunaux qui peuvent concerner les consommateurs et usagers. Nous avons traité de ce qu'on appelle la compétence matérielle (qui dépend de la nature de l'affaire ou de son importance pécuniaire). A noter que pour une catégorie de juridictions donnée (par exemple le tribunal judiciaire), on ne peut pas saisir n'importe quel tribunal de France. Il existe des règles précises qui régissent ce qu'on appelle la compétence territoriale (par exemple obligation de saisir le tribunal où est domiciliée une partie au procès). Les consommateurs bénéficient d'ailleurs de règles particulières à cet égard (article R631-3 du code de la consommation).

 

La réforme de la justice ne concerne pas seulement la compétence des juridictions. Elle touche à beaucoup d'autres domaines : règles de procédure, modes de règlement amiable, représentation obligatoire par un avocat, etc. Nous aurons l'occasion d'y revenir.

Publié dans Consommation

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